A l’heure où les concours d’éloquence font recette, où la scène du stand up explose, où les combats reviennent au goût du jour (combat de danse, combat de slam, etc.), pourquoi la philosophie ne s’emparerait-elle pas de ce dispositif de la dispute dont elle était pourtant à l’initiative ?

Le concept

Organiser des disputes publiques, en s’inspirant du modèle de la disputatio médiévale pour montrer comment, autour d’un maître, une pensée vivante peut se développer. Nous souffrons de l’irruption d’une violence haineuse qui se développe dans un monde de plus en plus polarisé et d’un espace médiatique trop limité pour que s’engage le débat argumenté. N’ayons pas peur de nous « disputer » de façon ritualisée et publique pour progresser dans une recherche commune de la vérité.

 L’objectif est triple

  1. Rompre avec la stérilité des débats actuels qui ont réduit la dispute à une confrontation antagoniste entre experts (pour /contre), à des clivages entre des camps irréconciliables qui finissent par privilégier le langage de l’émotion sur toute forme de construction argumentative.
  2. Donner la parole à des maîtres dont les thèses sont discutées par des étudiants et des jeunes chercheurs, afin de montrer que l’exercice de la pensée relève d’un travail dirigé, évolutif et collectif, le contraire de l’image du philosophe démiurge isolé dans sa tour d’ivoire ;
  3. Faire vivre des controverses philosophiques, car nous avons la conviction qu’entre certitude et relativisme, il y a place pour la dispute argumentée comme une ligne de crête à suivre dans la quête de vérité.

Le dispositif principal

Proposer un thème et donner la parole à un maître pour la traiter (30 minutes). Ce thème a été choisi car il est central dans l’œuvre du maître. Le maître formule sur ce thème une problématique et des questions qui sont proposés aux élèves disputants regroupés en deux camps dont chacun développe une argumentation pour ou contre, leur rôle étant tiré au sort. Après une demi-heure de préparation, les deux camps vont s’affronter autour d’une question. Chacun des camps dispose de 3 fois 5 minutes pour développer son argumentation en s’appuyant sur celle de l’autre. A l’issue de la dispute, un jury désigne le camp qui lui a paru le plus convaincant. Puis le maître reprend la question disputée, en effectuant une synthèse (15 minutes).

Le lieu

Le grand amphithéâtre de la Sorbonne, lieu historique des controverses philosophiques et théologiques. C’est un lieu d’enseignement de la philosophie, qui pourrait ouvrir ses portes à un public plus large que celui des étudiants, grâce à des spectacles de philosophie… C’est aussi le lieu où doit se pratiquer ce type de discours, à la fois rigoureux, construit, mais aussi théâtral. La disputatio n’y trouverait pas seulement son écrin, elle permettrait de faire ré-entendre les grandes voix de la Sorbonne, de faire vivre l’esprit du lieu, dans une continuité et une épaisseur historique. L’exercice s’inscrivant à la fois dans un héritage, mais relevant du spectacle de la pensée en actes et de la performance, il nouerait la pure actualité à l’épaisseur dont elle semble souvent vouloir se dégager.

Le public

Lire de la philosophie est difficile, mais assister à un spectacle de philosophie en montrant la pensée vivante qui peut réveiller le philosophe sommeillant en chacun…

L’origine

Les disputes publiques s’inspirent de la tradition de la disputatio (Lire sur ce site l’article d’Alain de Libera). La disputatio était l’une des méthodes principales d’enseignement dans les universités médiévales. Elle jouait également un rôle important dans la recherche universitaire. Elle reposait sur le principe d’une discussion organisée selon un déroulement précis :

  • La formulation d’une question (questio)  (maître)
  • L’argumentation pour la réponse positive (pro) (étudiant)
  • La réfutation des arguments avancés (contra) (étudiant)
  • La reprise magistrale (determinatio)  (maître)

Nous retenons de la disputatio, une technique de débat qui incite à penser par soi-même sans pour autant s’enfermer dans un camp retranché ou dans un système de pensée clos ; elle oblige à se mettre à la place de celui qui ne pense pas comme nous en s’exerçant à défendre des positions que l’on n’a pas choisies. Participer à une disputatio suppose d’avoir le goût de la rencontre et de la pensée qui ne vont jamais l’une sans l’autre.